L’idée m’est venue en lisant la « Prière de l’artisan » dans le fournil de Daniel sur l’un de ses murs. Je vous laisse la découvrir ci-dessous :
« Apprends-moi, Seigneur, à bien user du temps que tu me donnes pour travailler, à bien l’employer sans rien en perdre.
Apprends-moi à tirer profit des erreurs passées sans tomber dans le scrupule qui ronge.
Apprends-moi à prévoir le plan sans me tourmenter, à imaginer l’oeuvre sans me désoler si elle jaillit autrement.
Apprends-moi à unir la hâte et la lenteur, la sérénité et la ferveur, le zèle et la paix.
Aide-moi au départ de l’ouvrage, là où je suis le plus faible.
Aide-moi au cœur du labeur à tenir serré le fil de l’attention.
Et surtout comble Toi-même les vides de mon oeuvre, Seigneur!
Dans tout le labeur de mes mains laisse une grâce de Toi pour parler aux autres et un défaut de moi pour me parler à moi-même.
Garde en moi l’espérance de la perfection, sans quoi je perdrais cœur. Garde-moi dans l’impuissance de la perfection, sans quoi je me perdrais d’orgueil.
Purifie mon regard: quand je fais mal, il n’est pas sûr que ce soit mal, et quand je fais bien, il n’est pas sur que ce soit bien.
Seigneur, ne me laisse jamais oublier que tout savoir est vain sauf là où il y a du travail, et que tout travail est vide sauf là où il y a amour, et que tout amour est creux qui ne me lie à moi-même et aux autres et à Toi, Seigneur!
Enseigne-moi à prier avec mes mains, mes bras et toutes mes forces.
Rappelle-moi que l’ouvrage de mes mains t’appartient et qu’il m’appartient de te le rendre en le donnant ; que si je le fais par goût du profit, comme un fruit oublié je pourrirai à l’automne ; que si je le fais pour plaire aux autres comme la fleur de l’herbe je fanerai au soir ; mais si je le fais pour l’amour du bien, je demeurerai dans le bien ; et le temps de faire bien et à ta gloire, c’est tout de suite, Amen! «
Souvent je trouve dans les fournils que je visite une icône religieuse, une prière ou un cierge. Des signes qui nous rappellent l’importance du pain dans la religion judéo-chrétienne. Alors je me suis dis pourquoi ne pas aller en discuter avec un ecclésiastique afin d’avoir éventuellement quelques éclaircissements sur la place du Pain dans la théologie. J’envois un mail à la communauté œcuménique de Taizé afin de décrocher une rencontre. J’ai le retour de Frère Etienne qui m’accorde un rendez-vous, je mettrai donc le cap sur la Bourgogne.
Arrivée à Chalon-sur-Saône via le train, j’emprunte la voie verte de Bourgogne du sud en direction de Cluny. Un vrai plaisir de longer les côteaux de vignobles en piste cyclable qui passe au pied d’anciennes gares de campagne ou le quai parfois est encore présent. J’arrive à la Morada de Taizé avec le rituel thé au citron accompagné de ses biscuits secs et d’une pomme. Je planterai ma tente pour deux nuitées et participerai comme convenu à la vie de communauté : prières, temps de partage en groupe et repas.
Je rencontre Frère Etienne d’origine Belge qui a plus de trente années au sein de la communauté. Après un bref échange afin de se présenter et faire connaissance, Frère Etienne m’évoque un vieux projet de boulangerie auquel il avait eu l’occasion de participer dans le cadre de la communauté au Brésil. Il me parle de la difficulté qu’ils avaient à manier les farines afin d’obtenir le résultat souhaité…Il me propose par la suite un texte de l’ancien testament qui mentionne déjà un pain éternel nourrisseur d’âmes et invitant au partage. On note aussi la place prédominante de la Femme dans le savoir-faire du Pain :
« [1 Roi 17 : 8-24] Élie et la veuve de Sarepta
Alors la parole de l’Éternel lui fut adressée en ces mots :
Lève-toi, va à Sarepta, qui appartient à Sidon, et demeure là. Voici, j’y ai ordonné à une femme veuve de te nourrir.
Il se leva, et il alla à Sarepta. Comme il arrivait à l’entrée de la ville, voici, il y avait là une femme veuve qui ramassait du bois. Il l’appela, et dit : Va me chercher, je te prie, un peu d’eau dans un vase, afin que je boive. Et elle alla en chercher. Il l’appela de nouveau, et dit : Apporte-moi, je te prie, un morceau de pain dans ta main.
Et elle répondit : L’Éternel, ton Dieu, est vivant ! je n’ai rien de cuit, je n’ai qu’une poignée de farine dans un pot et un peu d’huile dans une cruche. Et voici, je ramasse deux morceaux de bois, puis je rentrerai et je préparerai cela pour moi et pour mon fils ; nous mangerons, après quoi nous mourrons.
Élie lui dit : Ne crains point, rentre, fais comme tu as dit. Seulement, prépare-moi d’abord avec cela un petit gâteau, et tu me l’apporteras ; tu en feras ensuite pour toi et pour ton fils. Car ainsi parle l’Éternel, le Dieu d’Israël : La farine qui est dans le pot ne manquera point et l’huile qui est dans la cruche ne diminuera point, jusqu’au jour où l’Éternel fera tomber de la pluie sur la face du sol. Elle alla, et elle fit selon la parole d’Élie. Et pendant longtemps elle eut de quoi manger, elle et sa famille, aussi bien qu’Élie. La farine qui était dans le pot ne manqua point, et l’huile qui était dans la cruche ne diminua point, selon la parole que l’Éternel avait prononcée par Élie.
Après ces choses, le fils de la femme, maîtresse de la maison, devint malade, et sa maladie fut si violente qu’il ne resta plus en lui de respiration. Cette femme dit alors à Élie :
Qu’y a-t-il entre moi et toi, homme de Dieu ? Es-tu venu chez moi pour rappeler le souvenir de mon iniquité, et pour faire mourir mon fils ?
Il lui répondit :
Donne-moi ton fils. Et il le prit du sein de la femme, le monta dans la chambre haute où il demeurait, et le coucha sur son lit. Puis il invoqua l’Éternel, et dit :
Éternel, mon Dieu, est-ce que tu affligerais, au point de faire mourir son fils, même cette veuve chez qui j’ai été reçu comme un hôte ?
Et il s’étendit trois fois sur l’enfant, invoqua l’Éternel, et dit : Éternel, mon Dieu, je t’en prie, que l’âme de cet enfant revienne au dedans de lui !
L’Éternel écouta la voix d’Élie, et l’âme de l’enfant revint au dedans de lui, et il fut rendu à la vie. Élie prit l’enfant, le descendit de la chambre haute dans la maison, et le donna à sa mère.
Et Élie dit :
Vois, ton fils est vivant.
Et la femme dit à Élie :
Je reconnais maintenant que tu es un homme de Dieu, et que la parole de l’Éternel dans ta bouche est vérité. »
Je laisse libre interprétation de ce récit biblique datant de plus XIXème siècle avant Jesus Christ.
Frère Etienne m’invite pour finir par une visite insolite d’un ancien four à bois. Situé en plein centre du village, à côté d’une ferme annexée par la communauté se dresse une cheminée avec une sole pleine de charme. Nous échangeons devant l’autel du four en imaginant son utilité d’antan. Une belle opportunité d’un chantier de rénovation se dessine pour un prochain passage. Je repars le lendemain matin de Taizé aux aurores en direction de Lyon. Sur le trajet je repense à la réussite de cette communauté implanté au milieu de nulle part. Il y a plus de 60 ans Frère Roger parti de Genève à bicyclette pour chercher un lieu pour prier et accueillir. Aujourd’hui des milliers de personnes du monde entier et de confessions différentes séjournent chaque année et viennent communier à Taizé. Comme quoi la route peut être longue et tortueuse mais à chacun son Pain!
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