Je quitte le plateau de Saclay sans regret pour une mission chez un fermier en Vendée du coté de Saint Jean de Monts. Me voilà une nouvelle fois boulanger à la ferme dans un petit fournil ou je travaille en direct avec la gérante. L’organisation s’articule autour d’un four à bois de marque grand mère pouvant absorber jusqu’à 60 kg de pain par fournée. Après un bref essai, la gérante me retient pour l’assister dans la production. J’évoque tout de suite avec elle les limites de son organisation et ma volonté de ne pas vouloir faire un marathon d’heures. Les fêtes de noël arrivant nous nous retrouvons avec du volume et déjà de belles journées avec 5 à 6 fournées par jour. Début Janvier je demande à la gérante de mettre fin dès que possible à mes fonctions. L’organisation mais surtout une discorde naît sur mon calcul d’heures me laissant pressentir un avenir moins agréable. Mauvaise fois ou pas, il faut avancer. Je préfère faire une nouvelle fois ma révérence. Non, excusez moi de compter mes heures travaillées, je ne travaille pas gratuitement au smic horaire et encore moins à ce niveau de productivité! Je serai remercié le soir même.
Avec mon bâton de pèlerin je repars sur la route de l’emploi pour atterrir début Mars à Epône dans le « far west » des Yvelines. Je suis accueilli dans le fournil de Daniel (heureux converti…) qui me propose de remplacer sur une durée de 10 mois Jeffrey qui prépare en alternance son CAP Boulangerie. J’intègre l’équipe composée de Jean-Baptiste, Florian, Emmanuel, Fabien, Laurent et Thierry. Nous produisons un pain au levain cuit au four à bois que nous livrons dans l’ouest parisien à des magasins bio et AMAP. Fin septembre le fournil passe entre les mains du meunier et le boulanger un peu en bout de course tire sa révérence après six années de dur labeur. Nous passons d’une organisation simple et proche du métier à une entreprise pilotée par un actionnaire absent des murs. Le boulanger est remplacé par une administratrice n’ayant jamais exercé le métier. J’évoque trois mois avant le retour de Jeffrey mon avenir au sein de l’organisation et l’on me fait comprendre que j’aurai une proposition. Les jours passent et je ne vois rien venir malgré mes relances. Je n’obtiendrai aucune proposition claire. Je quitte le fournil en fin d’année un peu amer avec l’impression d’avoir été tenu en haleine jusqu’au bout.
Mais que retenir de ces expériences…
Faire et « Faire Faire », voilà pour moi une bonne approche à la compréhension de ma situation. En Vendée, je parlais et travaillais en direct avec le boulanger qui connait le métier. En l’espace d’une journée, elle a été capable de prendre la décision de lever mes fonctions au risque de se retrouver à faire de façon temporaire le travail. Par contre à Epône, personne pour faire le métier à ma place alors on préfère parfois les sourires de façades plutôt que d’aller au fond des choses. En résumé, le management et la vision du métier sont déterminants à la réalisation d’un Pain de caractère. Ne grillons pas les étapes commençons par le début : Faire du pain. La compréhension de ce vaste sujet est complexe et ne s’acquiert pas en quelques jours et années. Se pose alors la question du « Faire Faire », celle-ci découlera naturellement du Faire dès lors que les différentes étapes de l’enseignement auront été assimilées. Mais attention, enseigner n’est pas transmettre des idées. Enseigner c’est architecturé des méthodes de pensée. Il n’existe pas une seule et bonne façon de transmettre n’en déplaise à l’éducation nationale et autres organismes de formation. Le Pain restera un épineux et aventureux sujet…
Le management par l’exemplarité est pour moi le meilleur moyen de faire progresser une organisation et ses collaborateurs. Il ne s agit pas d’opposer les jeunes au vieux ou de « la chaire fraîche » à « des culs sur des chaises » mais de trouver la bonne équation afin de faire avancer le collectif. Pour qu’une organisation artisanale fonctionne, il est nécessaire d’avoir des gens productifs, travaillant en équipe et partageant des valeurs communes qui connaissent le métier et sachent le transmettre. Après c’est toujours important de croire au monde des Bisounours. Le copinage et l’empathie ne servent à rien dans ce métier d’exécution. L’expérience et la connaissance sont des pré requis avant d’ouvrir boutique. Méfiez-vous de ceux qui ne mettent plus la main à la pâte (encore plus à ceux qui ne l’ont jamais mise!) et demandez leurs comment ils se rémunèrent? Ne leur déplaise mais ma santé n’a pas de prix! J’ai envie de croire à un pain juste et cohérent dans une époque de plus en plus aseptisée où travailler avec des ferments représente chez certains un risque sanitaire.
Chers amis consom’acteurs, il est temps de venir franchir la porte du fournil et de questionner votre Artisan Boulanger. Il est temps de s’intéresser à son métier et à la filière du blé. Il est temps de savoir qui vous nourrit et qui vous récompensez en achetant du pain. Vous verrez, après cela que votre prochaine dégustation prendra un tout autre sens. Bon appétit.
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